John Phillip Law & Marisa Mell, Danger Diabolik (séance du 23/10/1998).
Poétique
des extrêmes,
tel est donc le (beau) titre que Jean-François
Rauger a choisi pour son texte inédit qui ouvrira le premier livre de notre
coffret Bis. Celles et ceux qui ont lu L’œil
qui jouit (Yellow Now, 2012), qui reprend un certain nombre de ses textes
autour de protagonistes du cinéma dit bis, connaissent sa réflexion sur la post-modernité au cinéma et son
aversion, plutôt radicale, pour la notion de genres. Il voit dans le maniérisme
de Mario Bava les mutations d’un monde hanté par la décadence et la
décomposition, dans lequel l’humain passe du sujet à l’objet, comme Diabolik,
transformé en statue, un cinéma qui témoigne et réfléchit à la fois sur « la
disparition des eschatologies qui rendaient possible le cinéma de genre. »
On lui doit de brillantes analyses sur l’œuvre labyrinthique, répétitive de
Jess Franco, sur la sexy-comédie italienne perçue comme la forme ultime et
dégradée de la grande comédie italienne. Théoricien virtuose et ludique, il
arpente depuis vingt ans, depuis la première séance Bis de 1993, les scènes
successives de la Cinémathèque française, du palais de Chaillot à la petite
salle du Faubourg du Temple, en passant par l’ancienne salle porno des Grands
Boulevards (le défunt Brooklyn) jusqu’aux salles modernes de Bercy. Monsieur
Loyal enthousiaste captivant son public dans un stand-up historique et érudit, il
manie les théories esthétiques, entraîne le spectateur vers des chemins insoupçonnés.
Dans le
flyer historique de la toute première séance du 22 octobre 1993, un double
programme Barbara Steele avec Les Amants
d’outre-tombe et La Chambre des
tortures, le texte, non signé, rédigé par Jean-François Rauger annonçait
« un rendez-vous régulier, une soirée, tous les quinze jours, où seront
présentés, dans le cadre d’un double programme, dans la tradition des défuntes
salles de quartier, deux films représentatifs de ce qu’on appelle "le cinéma bis". » Se
doutait-il alors que, vingt ans plus tard, ces séances seraient toujours des
rendez-vous réguliers de la Cinémathèque ? Il dessinait dans ce flyer la
politique programmatique des séances : « Péplums, films de cape et d’épée
ou d’épouvante, mélodrames, science-fiction, il s’agira de redécouvrir la part vive, jubilatoire d’un cinéma
populaire victime de la disparition de l’exploitation indépendante et de son
recyclage par la télévision suscitant les tentatives "revival" des
"dernières séances". Il ne sera pas question de mimer la
programmation indifférenciée et aléatoire des dernières salles populaires
parisiennes mais, de façon plus systématique, de donner un coup de projecteur
sur quelques auteurs, petits maîtres, habiles artisans, acteurs inépuisables et
improbables. Mais surtout, la présentation de films de série à la Cinémathèque
française-République devra se comprendre comme un fragment itératif d’une histoire permanente du cinéma dont ces films
constituent une part maudite, parfois poétique, pas nécessairement vouée à une
quelconque légitimation culturelle, ce qui en fait tout le prix. Ces
vendredi-bis se veulent un laboratoire où se concrétisera la perception des
genres cinématographiques comme tradition vivante, machines à fabriquer les
mythes mais aussi machines à penser. »
Avec
lui, le cinéma bis n’est donc pas le pré carré d’une chapelle d’initiés, une
histoire figée, une affaire de nostalgie. C’est certainement pourquoi il se
félicite de l’absence (et de l’impossibilité ?) d’une définition précise
du terme. Poétique des extrêmes, le titre de son texte, délivre des
indices. Jean-François Rauger y écrit que « le bis est un art de la mauvaise
pulsion » et qu’il est « un cinéma fondamentalement post-hollywoodien ».
Mais vous pourrez découvrir ses dernières réflexions en mars prochain. Ajoutons
que nous publierons aussi un entretien mené par notre auteur Gilles Esposito,
dans lequel Rauger revient sur l’historique et l’évolution des séances bis,
révèle le fétichisme du public, rapporte quelques anecdotes et explique
pourquoi ces séances sont aussi les plus rentables de la Cinémathèque.
Sergio Martino, son épouse et Jean-François Rauger (à droite),
lors de l'ouverture du cycle Martino, sur les Grands Boulevards, le 26/01/2001.
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